Ourse en Aspe Pour la présence de l'homme et de l'ours sauvage en montagne.

D'un pays de l'Ours à l'autre

N.B : plusieurs noms de lieux et de personnes privées ont été modifiés pour préserver la tranquillité des ours et des hommes.

Mardi 3 mai 2005 : Cap sur les Pyrénées !

Sur la route, j'ai raté le moment fort du voyage : lorsque la barrière glacée des Pyrénées surgit au fond du paysage comme une vague écumante mais immobile qui s'approche irrésistiblement en procurant une frissonnante joie intérieure, une " pan "ique à la Giono !

Raté pour cause de nuages masqués !

A la place, j'ai rencontré deux " Maisons de la Haute Garonne " et je me suis demandé, sans avoir le temps de m'y arrêter, si on avait pensé à y expliquer tout ce que l'ont doit désormais à ce département pour la cause de l'ours : il n'en reste plus que 14 à 18 sur toute la chaîne des Pyrénées dont 12 à 16 grâce à la montagne de Haute-Garonne qui osa organiser sur son territoire le lâcher d'ours de 1996 et 1997 sur la commune de Melles.

Mercredi 4 mai 2005 : Pèlerinage aux cabanes de Bendous, Urdos, vallée d'Aspe.

Me voilà arrivé encore une fois au seuil de la vallée qui me remplit l'âme d'émotion et me comble de bonheur dès que je m'en approche. A chaque fois tant de beauté m'intimide et me rend humble. Malgré tout, ces dernières années, j' y retourne comme un fils trop distant qui aurait la crainte de voir combien ses parents sont un peu plus marqués par le temps chaque année... Ici, le temps s'appelle " bulldozer " et il a un camion puant à la place du cœur. Comme le chante la brillante Marillis Orionaa, jeune et réjouissante chanteuse béarnaise,

" Que traucan lo Biarn.
Que i a mau
Viahora ! "

(On fait des trous dans le Béarn, ça va mal, Au-secours !). Au moins 12 ans que j'entends cet appel et qu'il m'obsède. Peut-on être obsédé par la destruction d'un irremplaçable joyau ou est-ce simplement ... " normal " de s'en soucier ?

Je connais un écologue qui eut ses heures de gloire, qui parlait d'un autre lieu massacré et qui propose le terme de " locucide " : " le crime le plus vertigineux que puisse commettre notre société technicienne ", " c'est un lieu qui est mort, un lieu chargé de l'histoire des générations qui s'y sont succédées, avec ses cerisiers et ses villages [...], sa campagne où a pris fin le dialogue millénaire du paysan avec la Nature ".

Tous ceux qui ont connu les Fontaines d'Escot ou les forges d'Abel avant les travaux de la RN134 et son tunnel comprendront...

Soulagement avant même Oloron et son Gave à saumons : les empreintes de l'ours ont investi la vallée ! Merci à ceux qui ont ici fait œuvre d'art, d'utilité publique, de salubrité mentale et ... qui nous rappellent quand il le faut et où il le faut que la dignité, l'émotion, la beauté et la responsabilité sont aussi de ce monde.

Souvenez-vous, Barbara et Aubert (je dédie leurs paroles aux courageux artistes des pattes d'ours en pensant à Canelle) :

" [...] Quand la folie des hommes
nous mène à l'horreur
nous mène au dégout
n'oublie pas
l'aube reviens quand même
et même pâle, le jour se lève encore
étonné, on reprend le corps à corps
allons-y
puisque le jour se lève encore
sauvons les rivières
gardons les torrents
restons en colère
soyons vigilants.
même si tout semble fini
n'oublions jamais
qu'au bout de la nuit
doucement
l'aube revient quand même
même pâle, le jour se lève encore
tu verras ...[...] "

Merci les artistes et ... chapeau bas aux héros du moment qui ont marqué(z) avec élégance le territoire de l'ours jusque sur les panneaux de la DDE ... celle qui n'hésita pas, à jamais espèra-t-elle, à noyer les rails du Pau-Canfranc sous l'asphalte des camions...

Entre les pattes d'ours qui jalonnent la route, je me souviens de la première fois où je me suis faufilé entre les murailles d'Aspe. La radio crachait les fines guitares corses de " Chjami Aghjalesi ", effet garanti, yeux écarquillés, plein la vue, suspendu à la majesté des lieux ... à couper le souffle ... à couper au couteau, pas au bull !

J'avançais sur le sentier de la guerre derrière " l'indien ", Eric Pétetin, et avec les milliers de personnes qui s'indignaient de l'imminence d'un tel saccage. C'était une joyeuse effervescence, porteuse d'espoir : des ces jacqueries véridiques qui semblent annoncer les jours meilleurs quand l'union fait la force. 10 000 au col du Somport en 1994, vent de révolution aux forges d'Abel, je n'imaginais pas que l'on puisse perdre comme on a perdu et que la nature, chef indien inclus, y laisserait tant de plumes.

Je ne remercie pas les gouvernements successifs, de gauche et de droite, Verts compris (trois fois hélas), qui ont laissé faire. En 2000 Denis Baupin, porte-parole des Verts à l'époque, je me suis retrouvé par hasard en face de toi dans le train Pau-Oloron (que la SNCF veut désormais remplacer par un service routier ...). Je t'ai dis que je ne supportais plus de voir comment les Verts au niveau national avaient abandonné le Somport. Tu m'as dis que c'était pas tout à fait le cas... puis j'ai eu de la peine pour toi quand tu t'es fait entarter par un militant le lendemain sous un châpiteau à Bedous. Quel cirque ! Voynet était ministre, le tunnel et la route sont passés. Certes Jospin était autiste et ne vous appuyait pas, certes aussi, Gayssot, ministre des transports, en bon communiste productiviste, n'a pas levé le petit doigt pour épargner la vallée ... Mais après-coup, je l'affirme : l'entarteur avait raison.

Remarquez bien que je semble descendre les Verts mais ... les autre partis politique ont tous fait bien pire que ça contre la vallée d'Aspe et pour les camions ... bien pire. J'attendais mieux des Verts, c'est tout. Résultat, je n'en suis plus ... et je ne dois pas être le seul.

Retour aux portes d' Aspe, à la vraie vie puisque " le choix de la vie " a été renié ...

Cette fois, carte de visite des plus habituelle, mais coup de cœur quand même : à peine entré dans mon sanctuaire païen, les vautours fauves côtoient les sommets sur fenêtre d'azur, carte de visite de 2,50 mètre d'envergure. Merci, c'est trop pour moi !

Les milans royaux se joignent au Comité d'Accueil, encore merci.

Direction Etsaut pour louer des raquettes au gîte : je ne suis pas un ours et ne peut donc pas répartir mon poids sur quatre pattes, équitablement et avec légèreté sur la neige désormais molle du joli mois de mai...

Je ne trouve personne, je file vers Urdos : j'ai besoin d'altitude et ... je veux me consoler de ces 12 ans de malheurs camionesques dans l'un des plus beaux paysages du monde (oui, je le pense ! Je ne suis pas né autour de la plus belle baie du monde pour rien !), je veux voir la RN 134 complètement pétée par les camions qu'on y fait passer de force, par les camions qui n'en peuvent, au point d'avoir abandonné la bataille quelques mois en ayant scié eux-même la branche qui les guidait et la route qui les ...aspire, Aspe...ire ..., Aspe-hire jusque là !

Mais selon le zélu Jean-Lassalle, fier député-maire de Lourdios-Ichère, promoteur infatigable de l'aspirateur du bonheur, celui du tunnel à camion, le susdit surnommé " la Castafiore du Haut-Béarn " pour ses prouesses vocales au théatre tragique du Palais Bourbon, (rien à voir avec la classe béarnaise d'une Marilis Orionnaa...) si la route s'effondre, c'est à cause des ... écolos ! Il y a quelques années, ces irresponsables auraient refusé la construction d'un pare-avalanche au-dessus d'Urdos car un couple d'aigle royal avait eu la stupide idée d'y élire domicile pour construire son nid d'aigle en haut du site convoité ! Résultat : la route est défoncée. Logique, non ? Pas la mienne en tout cas !

Urdos ... j'ai la tête ailleurs : 1er novembre 2004, cabanes de Bendous, battue au sanglier sur le secteur où Canelle, suitée de son ourson, est signalée. Bonne idée, non ?

Face à face (à 3 ou 50 mètres, c'est selon les versions...) la griffe ne fait jamais le poids face au javelot mortel de la balle à sanglier qui transperce mortellement le dernier espoir vivant de l'ours brun des Pyrénées, la der des der ... L'ourse roule dans le ravin, l'ourson hurle. L'ourson pleure, Lassalle chante ...

Je veux voir. J'ai besoin de monter aux cabanes, à l'endroit où cet accident imbécile, accident de l'égoïsme, s'est produit ... " de toutes pièces " ... tant on a tout fait pour qu'il ait lieu ...

Demain, je dirais à mes amis : " Hier, j'ai suivi les traces d'un ministre (Lepeltier), d'un potentat local (Lassalle), d'un pauvre type (Marquèze) mais aussi ... d'une ourse suitée si attachante depuis les images d'Aout dernier, celles de Didier Melet, le garde-moniteur du Parc National qui a eu la chance de les filmer quand ils se gavaient de framboises.

Bizarre : contrairement aux chasseurs, lui n'a pas eu peur et n'a pas même eu à affaire à la gueule baveuse de l'ourse. Histoire d'approche différente surement ...

Colère, peine, désespoir et soif de justice inextingible tant que le mal ne sera pas réparé. Ce 1er novembre là, des hommes ont fait trembler la porte qui ouvrait sur notre histoire commune avec l'ours et ils l'ont claquée de toutes leurs forces avec une vulgarité déconcertante, au nom de nous tous, Homo Sapiens (sapiens deux fois ? A voir ...), qui n'avions rien demandé dans notre immense majorité. Mais, comme souvent, les chasseurs, bien armés, ont parlé pour le reste de l'humanité : l'ours pyrénéen, c'est fini, c'est comme ça, ça vaut bien une partie de chasse, non ?

L'ourson qui hurle encore, l'hélico, la dépouille, l'omerta, la soumission au chef du clan, les cirages de bottes ... Dégout !

Pourtant, ce mercredi 4 mai là, au-dessus d'Urdos ... je m'équipe et je grimpe jusqu'à la cabane. Sur un minuscule bâtiment, au départ du sentier, le nom de Canelle a été peint. Contraste avec la peine et la colère : ici, la vie me saute au visage et me secoue comme une grande brute à chaque fois que mon regard se pose : des insectes qui s'affairent dans la litière de chêne, des scarabés roux (Pyrochroa serraticornis), d'autres noirs corbeaux (Meloe proscarabaeus) qui grignotent des feuilles de violettes, des papillons forts en couleurs qui volettent d'une plante à l'autre (Anthocaris cardamines), la douceur humide d'un temps de génèse qui promet un long crescendo pour cette explosion de vie ...

Regard sur Urdos et le fond de la vallée. D'un seul coup d'œil, tout le drame d'Aspe saute lui aussi en pleine figure : en haut, les cabanes de Bendous et la fin de l'ours savamment orchestrés par l'IPHB du zélu pré-cité. En contre-bas, un tunnel ferroviaire d'où sort un joli pont de fer pour le train ... fantôme. Puis la route, large, étroite, étroite, large encore, elle serpente jusqu'au tunnel du Somport que l'on aperçoit à peine au loin. C'est le tunnel du bonheur ... un bonheur fantôme pour un développement fantôme et aujourd'hui ... avec des camions fantômes eux aussi !

J'adore ! Juste avant la montagne percée par les bulls, la route en panne ! Je mate, je zieute, je fais le voyeur, jumelles en action ! Ca grossit douze fois, j'en profite douze fois. Je jubile ! fini les camions ... pour quelques semaines encore. Egoïste ! Et les habitants, ils ne sont pas " isolés " ? Isolés des nuisances, oui ! Voilà ce qu'ils en disent :

" COMITE DES HABITANTS POUR LA VIE EN VALLEE D'ASPE - 27/02/05
Somport poids lourds
Maîtrisons notre avenir !
Objet : Communiqué de presse.
Réponse à la campagne de presse actuelle ; Envoyée simultanément à la presse et aux maires et conseillers municipaux de la Vallée d'Aspe.
Les Aspois respirent !
Contrairement à ce qui a été déclaré dans la presse, non seulement les Aspois ne sont pas désespérés par la fermeture de la route aux camions, mais ils respirent !
Quelles seraient les raisons d'un tel désespoir ?
*économiques ? l'Alcan, les entreprises et commerces de la vallée ont été ravitaillés.
*touristique ? les touristes interrogés ce matin sur le marché sont ravis de retrouver la qualité de vie qu'ils recherchent en vallée d'Aspe. Ce mercredi, le parking de la station de ski de fond du Somport était bondé ! Quant aux quelques bus qui n'ont pas pu rejoindre la station du Somport, il aurait suffit que soit organisé des navettes pour leur acheminement, comme l'ont fait les associations de ski, bénévoles, de la vallée qui ont continué à assurer les sorties au Somport. Que nous a apporté la route aujourd'hui? Combien d'écoles ouvertes? Combien de créations d'emploi?
*sécurité ? Qui se plaint d'une route sans camions de marchandises, sans pollution, sans bruit, sans accidents de poids lourds ? L'augmentation du trafic et du tonnage des camions a engendré l'usure prématurée de la route, et provoquera, à coup sur, d'autres accidents de ce genre.
Allons, Monsieur Rose et Messieurs les responsables du tunnel et de l'axe routier, il ne s'agit pas d'une malédiction qui s'abat sur la vallée ! D'autres faits plus dramatiques se déroulent sur notre planète !
Les accidents de camion, l'incendie dans le tunnel et les éboulements de terrain ne sont pas classés catastrophe naturelle, mais sont les fruits récoltés d'un choix malheureux fait pour la vallée (tunnel et route).
Ce projet, qu'une quasi-unanimité de la population Aspoise trouve maintenant inutile et nuisible, et qui a été combattu par certains depuis près de 15 ans, s'avère aujourd'hui aberrant, dangereux pour les usagers, ruineux pour les contribuables que nous sommes, et inadapté à la vallée.
Nous vous invitons, Messieurs à profiter de cette route sans camions pour sortir à la rencontre des nombreux Aspois et touriste qui depuis quelques jours profitent de ce calme retrouvé.
Nous espérons que ce temps nécessaire aux travaux de réparation permettra à chacun de prendre enfin des positions et des dispositions nécessaires pour protéger la vallée d'Aspe, les Aspois, leur environnement et leurs activités économiques de ces nuisances prévisibles.

Le conseil d'administration du Comité des Habitants pour la Vie en Vallée d'Aspe. "

Coup d'œil sur le versant, juste en face. Pour un méditerranéen comme moi, autant de vert(s), c'est toujours très exotique. Palette somptueuse contre pelleteuse Somp...tueuse. Mais les problèmes de la vallées restent visibles malgré tout : très haut sur la pente, des traces d'écobuage un peu trop gourmand ... pour préserver légitimement les espaces de pâturage ou pour éloigner l'ours ? Réalisé dans les règles de l'art ou échappant à toute maîtrise ? Quel est exactement le problème de ces écobuages qui semblent déraper de plus en plus, jusqu'à la mort d'hommes ? (cas des randonneurs surpris par le feu) La perte d'un savoir-faire ancestral ? Des moyens techniques trop puissants (route, pétrole et je ne sais quoi ...) ou encore, le réchauffement climatique du à l'effet de serre qui rend la végétation et le sol plus inflammable désormais ? Qui peut répondre ?

Tout ce que je peux dire, c'est répéter que trop d'écobuage nuit aussi à l'homme ... pas seulement à l'ours.

Le sentier se redresse encore et sur le versant " écobué ", les vautours fauves longent la forêt sous le couvercle nuageux. Un petit point blanc apparaît, je m'acharne sur mes jumelles : c'est bien lui ! Le vautour-percnoptère, dit aussi percnoptère d'Egypte, la Marie-Blanque des béarnais. Sur fond de forêt pure ... un bijou ! Le bout de ses ailes trempées dans l'encre noire lui donne l'apparence d'un Fou de bassan égaré. Il en a la grâce en tout cas ! Mais lui, jamais il ne plongera tête première dans le gave, les ailes repliées en W serré. Promis, le desman peut respirer !

Le sentier grimpe encore, les jonquilles s'en donnent à cœur joie. La cabane est là, dans un état aussi pitoyable que le " contrat d'honneur " de l'IPHB, aussi pitoyable aussi que la " population relictuelle d'ours brun des Pyrénées " désormais éteinte. Triste et impossible à accepter. On ne l'accepte pas ! On ne l'acceptera jamais, pour nos enfants et pour les leurs.

Derrière la cabane, la hêtraie-sapinière et le ravin. Le ravin, et la hêtraie sapinière ... ils sont venus des deux côtés les chasseurs ce jour-là pour leur battue ... battue du siècle pour le coup. De quel siècle ? ... On le sait bien...

Je photographie des branches de hêtres éléphantesques et monstrueusement tordues, noueuses et expressives, tristes et inquiètes. J'ai envie de dire qu'ici, tous les " hêtres " sont consternés...

Je monte encore un peu, mes pas crissent sur les feuilles et il me plait à penser que c'est à peu près le bruit que doit faire un ours qui passe. Pour l'instant, seuls les anges passent ! Soudain, une harde de plusieurs dizaines d'isards dévale comme un puissant torrent, vivant et fauve, derrière des rideaux de hêtres centenaires. Difficile à fixer dans les jumelles.

Le sentier sort de la forêt, j'arrive aux cabanes du Saupet. Qu'elles sont belles et presque " luxueuses " ces cabanes ! Quand on connaît l'état de bien des cabanes ailleurs sur la chaîne, le contraste est net ! Et c'est tant mieux : les hommes qui font le dur métier de pâtre méritent un abri digne de ce nom sur leur tête et un maximum de confort. Surtout quand ils ont accepté de vivre avec l'ours ... qui reste pour eux une vraie contrainte.

Quelque chose bouge et s'éloigne sur le versant qui s'élargit tout autour des cabanes : c'est un renard roux, plutôt " chamois ". Jumelles, bonne bouille ! Il trotte, s'arrête, me fixe, repart puis disparaît sous le couvert forestier.

Dans l'abreuvoir près de la cabane, un magnifique lézard vert gît, tout juste noyé. Je le sors mais ... c'est sans espoir. J'en profite pour l'admirer de près : il est si bien conservé que je me permets de le photographier en macro sous toutes les coutures ... et elles sont sacrément ouvragées et inattendues d'ingéniosité ! Tout un art. Je l'abandonne entre deux pierres chauffées par le soleil : on sait jamais, l'eau était glaciale et l'animal n'est peut-être qu'en léthargie ? Sinon, les fourmis, les rapaces, les corvidés, le renard même, les ours s'ils étaient là, s'en chargeraient : il ne manque pas de personnel dans la fabuleuse déchetterie de la nature !

J'entre dans la cabane. C'est quand même sommaire comme confort. Mais ces cabanes d'estive, j'y ai dormi plusieurs fois lors des 40 jours que durèrent " mon GR10 contemplatif " en 1996, passant parfois la nuit à quelques mètres de la slovène Ziva comme je l'appris plus tard en croisant mon itinéraire et les cartes de présence de l'ourse. Aucune peur à avoir : l'ours fuit l'homme qui ne vient pas traquer son ourson. Dans la cabane, si le matelas est bon et le toit étanche, c'est Byzance après des heures de marche ! Là, il y a même une installation électrique (solaire surement et activée en été) ...du jamais vu ! Je suis fier de me dire qu'une partie de mon adhésion au FIEP a aussi servie à ça, à aider les hommes de la " zone à ours ".

Pourquoi l'Homme n'a-t-il pas davantage aidé l'ours ? Je ne parle pas de ces hommes " zélus ", eux, on sait pourquoi ... mais juste d'hommes, des hommes tout court.

Ces aides aux bergers et aux éleveurs, certains croient qu'ils les doivent à l'IPHB ... ils ignorent que le FIEP a fait cela bien avant et que ... en la matière, le FIEP inspirait l'IPHB bien plus que le contraire fort heureusement ! Encore une habileté de l' IPHB que d'avoir réussi à faire croire que ces mesures de soutien au pastoralisme viennent de cette institution dévoyée alors que ce sont les amis de l'ours qui les ont imaginées et patiemment mises en œuvre depuis 30 ans. Mais le FIEP est mauvais en " com' " et n'a aucune clientèle électorale à entretenir ...

L'heure avance (j'ai démarré mon pèlerinage très tard, vers 15 heures) il est déjà 18 heures. Je fais demi-tour, je redescends vers la " forêt du massacre ". Juste avant, coup de jumelles plongeant : un bel isard mâle m'observe, je l'ai à 30 mètres, je transporte mon regard vers le ciel : c'est à un autre animal de me transporter. Le gypaète barbu est là. 2,80 mètres d'envergure, le poitrail roux de cet adepte du thermalisme ferrugineux est bien visible, le " cercle rouge " de son œil, cher à Hainard, reste hors d'atteinte, mais je n'en suis pas loin ! Je le quitte un instant, voilà à nouveau le percnoptère et sa tête jaune et pelée qui envahit mon hublot. Je poursuis : un couple de buses en parade tournoie dans le ciel. Florilège aspois de nature sauvage comme j'en suis désormais accro au plus haut degré... joie intense ! Sérénité, apaisement et envie de remercier m'envahissent.

Je pense à ces éboueurs du ciel et à ce qu'on appelle " la chaîne nécrophage " où chacun, chaque espèce a sa place précise, son rôle à jouer, un mécanisme huilé comme une horloge : les corvidés (corneilles, grands corbeaux ...) découvrent la charogne. Ils virevoltent, noirs sur le bleu du ciel, ils crient et s'attirent les uns et les autres de loin en loin. Ils s'attaquent aux parties les plus accessibles et les plus molles de la charogne, au visage notamment. Puis, ce ballet en noir attire les grands vautours fauves. Eux sont armés, becs et griffes, pour se servir goulument en élargissant les orifices naturels, c'est la curée. Le percnoptère peut y participer, mais il attendra son tour. Viendra enfin le gypaète barbu pour parachever le festin : lui, finira le nettoyage en s'attaquant aux os et à leur moelle, il n'a pas usurpé son surnom de " casseur d'os " ! La charogne en quelques dizaines d'heures disparaît ... et gagne les airs dans le corps de tous ces volatiles.

Les chasseurs d'Urdos ont fait de la dernière ourse des Pyrénées une vulgaire charogne. Mais on ne peut même pas rêver d'elle en l'imaginant devenue poussière, molécule de vie, énergie, en voyage dans le ballet magistral des vautours célestes : Canelle, comme Mellba depuis 8 ans, est conservée dans un congélateur pour autopsie. Il paraît que son état, quelques heures après le drame, ne permet pas une expertise balistique précise ! Les vautours l'auraient trop abîmée ... Bizarre, bizarre ... Canelle dans le ravin et déjà les vautours ... j'espère qu'ils ont mouliné fort des ailes pour remonter et sortir des ravins a-pics de la Mâture ... le ventre plein en plus ! Puis ... tout le monde a vu la tête de l'ourse Canelle quand l'hélico a posé sa dépouille : elle n'avait pas l'air très abîmée ! Il suffit de relire le fonctionnement de la " chaîne nécrophage " pour comprendre mon incrédulité. Il a aussi été dit que Marquèze avait tiré à 50 mètres selon les traces de poudre sur l'animal, ce qui remet complètement en question la thèse de la légitime défense. Saura-t-on un jour où est la vérité ? Jamais à chaque fois qu'il y a eu abattage d'un ours dans les Pyrénées. Ce n'est en tout cas pas en effaçant les traces de preuves qu'on en saura davantage ! Pour les ours, il n' y a pas de famille de la victime qui veille au bon déroulement de l'enquète ... comme pour les atteintes sur la nature en général, tout reste possible, selon que le vent souffle dans un sens ou dans l'autre ... et on sait trop, hélas, qui fait le vent dans la région ...

La pluie se met à remonter depuis le bas de la vallée et cette fois, ça va tomber dru. Je m'emballe dans ma cape de pluie. Ca me fait penser aux manifs contre le tunnel ... dans cette même cape.

En regagnant mon véhicule, je ne peux pas ignorer la douane et la gendarmerie d'Urdos, si affairée les jours de grands manifs... c'était avant le tunnel. Aujourd'hui, le désert est arrivé jusque là ! Avec la pluie, ces bâtiments vides aux volets clos deviennent sinistres.

Retour à Etsaut, arrivée au gîte à l'heure du repas : je suis gêné de demander des raquettes au moment où les hôtes demandent tellement d'attention. Mais demain, je randonne avec Jean-Pierre et son pote Franck, il va falloir assurer dans la neige du joli mois de mai !

Je rejoins enfin Lescun et la sympathique " institution " Aspourin. Madame m'accueille toujours aussi chaleureusement que les années précédentes. Installation sous la pluie battante : j'ai bien fait de faire réparer mon gigantesque parapluie de berger béarnais à Pau hier matin. Je suis seul au gîte. Ca ne me déplait pas pour une première nuit d'indispensable repos : demain, 7 h00 à Arasp... Je suis impatient : Jean-Pierre m'a promis de me faire visiter un peu de son jardin secret de montagne. Impatient ... jusqu'au coup de téléphone où il m'annonce une météo exécrable pour demain. Annulation. Déception et ... satisfaction de s'en remettre à la nature et à la météo, les vraies maîtresses des lieux depuis toujours.

Jeudi 5 mai 2005 : " Ascension " ... !

Matin humide ! Les écharpes de brumes flottent doucement sur le paysage. Sur mon répondeur, Jean-Pierre me propose un déjeuner en famille chez lui, pas très loin d'ici. Bonne idée mais il reste injoignable et je ne sais pas où il habite exactement J'attends, je range mes affaires.

J'en profite pour discuter avec Mme Aspourin. L'hôtel du Pic d'Aspe qui jouxte le gîte a un charme indéniable. Je lui achète enfin les deux aquarelles du " vallon de Marmitou " qui me font rêver depuis l'an dernier. C'est son talentueux de fils, François, montagnard aguerri et artiste complet qui peint sublimement. Il a ferraillé dur contre l'IPHB qui voulait gâcher des paysages inestimables et des zones à ours pour construire des pistes pastorales à mini tout-terrain (!) autour des célèbres Aiguilles d'Ansabère, haut lieu de l'escalade et du pyrénéisme. Résultat, François s'est mis à dos une bonne partie du village. Mais le pire a été évité ... et on le lui doit largement. Je m'incline devant les hommes qui s'engagent, qui s'exposent pour sauver de l'espace et de la vie, je m'en sens frère, on fait partie de la même race d'irascibles têtus qui défendront bec et ongle ce que tant d'autres négligent.

L'une des deux aquarelles, je la destine à Jean-Pierre. Avec Mme Aspourin, on finit par parler de la bête : dans le superbe bureau de l'hôtel, tout en bois, deux peaux d'ours sont exposées. Les derniers de la vallée me confie-telle ... il n'en reste plus guère m'annonce-t-elle aussi d'un air sincèrement triste et impuissant. Je devine avant de sortir, un superbe portrait photographique en noir et blanc de cette honorable dame du Haut-Béarn qui ne reste pas indifférente à la fin de l'ours. J'apprécie.

En attendant de recontacter Jean-Pierre, je me décide pour le marché de Bedous puisque, coup de chance, c'est pluie, mais c'est jeudi ! Sous les arcades de la mairie, deux éleveurs proposent leurs magnifiques fromages. Avec tous ces fromagers hostiles à l'ours, mon intérêt pour leur production s'amenuise de plus en plus : la passion n'est plus là. Le mot fromage devient de plus en plus suspect à mes oreilles, j'en fait parfois une indigestion. Evidemment, ça demeure le plus exquis du monde ... mais cet effet d'osmose avec le paysage que je ressentais en croquant dans le brebis des Pyrénées se teinte d'amertume et de colère quand je vois que tant de producteurs se vautrent dans l'hostilité à l'ours la plus irrationnelle, la plus corporatiste, la plus brutale qui soit. C'est l'histoire d'une grande déception : ces éleveurs béarnais étaient de ceux qui savaient le mieux cohabiter avec l'ours et ... il suffit qu'un zélu tire un peu sur la ficelle pour obtenir des réactions que j'apparente au négationnisme culturel.

Suivisme du notable qui m'a toujours été insupportable. Etrange mal être devant ces étals. Je suis incapable d'acheter quoi que ce soit, surtout quand je reconnais l'un des animateurs de cette néo-opposition frontale à l'ours qui sourit aux clients de toutes ses dents ... Il suffit de lever un peu la tête au-dessus du marché pour penser aux deux ours mâles qu'on condamne à la solitude, juste un peu plus haut dans les montagnes... et à leur triste fin sans femelles. A cause d'un coup de tête ravageur de plus de Sieur Lassalle ... Un caprice de notable plutôt.

Un autre éleveur propose ses fromages, sur le côté. Jean-Pierre m'apprendra qu'il est, lui, favorable à l'ours. Il est simplement plus discret que le premier. Je pense que c'est le problème des amis de l'ours en Haut-Béarn : hormis les manifestations ponctuelles, comme ces 200 ou 300 personnes dans les rues de Bedous et d'Accous juste après le flingage de Canelle, nous sommes trop discrets !

Voilà des années que j'essaye de visiter l'exposition des artistes de la vallée, installée dans une petite maison sur cette même place. Je me suis toujours pointé à des heures impossibles, en fin de randonnée par exemple, et j'ai donc toujours trouvé porte close. Cette fois, l'occasion est trop belle pour la rater. Ce que j'imaginais en secret se produit : oui, l'ours demeure une source d'inspiration majeure de ces artistes ! La qualité de ce qui y est exposé m'enthousiasme. Et m'impressionne : peintures, sculptures, poteries, tapisseries, photos. Lou moussu, Pédescaou, a pris forme dans le bois, dans la terre cuite ... tandis qu'ici, dans la nature, le voilà condamné ... il va disparaître pour la première fois depuis avant l'aube de l'humanité.

Je laisse un message dans le livre d'or pour témoigner de l'effet que me font ces œuvres, pour insister aussi sur la liberté de respirer et d'écouter le silence retrouvé dans la vallée depuis que la porte du tunnel s'est refermée, pour affirmer encore une fois que le tunnel n'a rien " développé " du tout et qu'au contraire, il assèche. Je conclue comme l'a fait récemment le biologiste François Terrasson, en saluant ces artistes, représentants des " peuples accordés aux écosystèmes ".

Petite escapade au tabac-librairie-journaux du village : je tombe sur une pile de l'ouvrage publié par le lobby du camion (B.A.P) à la gloire du tunnel. Bien entendu, le zélu de mon cœur, la Castafiore, est membre du Conseil d'Administration de ce groupement camionesque... Je suis content : la pile est poussiéreuse, à moitié cachée sous un présentoir : ce n'est pas à Bedous que ce genre de panégyrique doit se vendre le mieux ... Je feuillète. Au programme : révisionnisme, propagande et ridicule ... Ne saviez-vous pas, par exemple, que " les écologistes " (mot fourre-tout très commode ...) étaient évidemment POUR le tunnel ... et cela , bien avant que les travaux ne commencent ? La preuve ? En encadré, une sorte de résolution sortie d'on ne sait où, d'on ne sait quel groupe " écologiste " et hop ! Le tour est joué ! Risible.

Je passe les pages qui font l'éloge des technocrates, zélus et autres massacreurs et tombe sur une citation de Jean Lassalle au moment du jugement des criminels qui étaient montés au gîte " La goutte d'eau " pour y incendier en pleine nuit le wagon, annexe d'hébergement, au risque d'y faire des victimes. Je cite la Castafiore du Haut-Béarn dans toute sa splendeur : " ce sont tous des hommes d'honneur ". Je comprends mieux désormais sa définition de l' " honneur " et je sais désormais pourquoi le " contrat d'honneur " de l'IPHB a fait long feu.

(j'apprendrai le lendemain que parmi les 6 chasseurs qui ont flingué Canelle, 3 faisaient parti de ce sinistre " commando " criminel ... plus rien ne m'étonne ...).

Une dernière chose m'accroche dans le passage en revue et en vitesse de ce dérisoire document de propagande : deux photos, l'une de l'entrée du tunnel côté français, l'autre de l'entrée côté espagnol. Les légendes sont pitoyables de bêtise. Côté français, quelque chose du genre : " une entrée de tunnel décidément fort discrète côté français " et " par contre, en Espagne, une entrée monumentale digne du XXIème siècle " !!!!! Jolie mentalité définitivement enracinée dans le siècle ... mais le XIXème, cette fois...

En attendant de joindre Jean-Pierre, je décide de découvrir enfin, depuis toutes ces années, le village de Lourdios-Ichère, fief de la Castofiore. Une visite à l'heure où l'école du village risque de fermer, et celle du village voisin, Issor, aussi ! Drôle de coup du sort dans la commune de celui-là même qui voulait coute que coute (et ça a couté...) " son " tunnel routier pour " développer " la vallée. Quel " développement " en effet ...

Lu sur des banderoles ou en graffiti autour et dans ces villages :

Ecole occupée

Zone urbaine

Issor-Lourdios en lutte pour la survie de nos écoles et villages 17 semaines d'occupation

Ecole occupée, non à la fermeture

Peut-être qu'à force de traquer les camions et les ours, les premiers pour les faire passer sous les fenêtres des aspois, les second pour les mettre sous cloche et se faire rémunérer grassement par l'Etat puis les laisser crever, notre édile en a oublié l'essentiel : dynamiser son village pour le faire vivre et l'aider à surmonter les difficultés de notre époque... lui imaginer des projets qui le respectent et qui tiennent mieux la route que des 38 tonnes ...

Ce que j'ai vu hier me reviens à l'esprit et je trouve ça à peine croyable : pour poursuivre les travaux de la RN 134, une déviation est en construction et a encore taillé dans la plaine de Bedous en direction des villages -encore- tranquilles - d'Osse-en-Aspe et de Lées-Ahas. Encore des terres cultivables pillées par les camions ... Ce qui est incroyable, c'est que là, en plaine, les travaux consistent actuellement à creuser un tunnel de quelques dizaines de mètres dans de la roche dure : de vertes ophites. Cout des travaux comme l'annoncent de belles pancartes ? Uniquement sur ce tronçon de tunnel : 6 500 000 €! C'est à se demander à qui profitent les tunnels en Aspe !

Deux visions antagonistes se téléscopent en permanence dans cette vallée ... ça saute aux yeux. En résumé, ça donne ça : faire de ce lieu hors du commun ce qui se fait partout ailleurs, avec le risque d'être pénalisé à cause de l'isolement, de l'altitude, du climat ... ou bien, préserver au maximum son extraordinaire atout : une nature d'exception au sens le plus large du terme ( eau, rivières, air, biodiversité, paysages ...), incroyable potentiel d'activités douces et respectueuses des sites, des hommes et de leur avenir.

Gaine technique pour les camions, zéro ours, aucun sens des responsabilités, ou bien ... développement doux, tourisme diffus et porteur de valeur ajoutée propre à profiter aux gens d'ici. C'est un peu le projet " montagne à vivre " de Mountain Wilderness ... Entre la banalisation pénalisante ou montagne à vivre ... certains zélus font définitivement et sans hésiter le premier choix ...

A Lourdios-Ichère, à Issor aussi, la révolte contre la fermeture des écoles gronde à juste titre. A quand la révolte contre les zélus lobotomisés ?

Le gave de Lourdios y est de toute beauté, le bocage aussi !

Je contacte finalement Jean Pierre qui confirme son invitation malgré l'heure désormais tadive. Un patou en profite pour pisser sur ma voiture. Il a raison : " des patous, pas de camions " ! Déjeuner en famille très sympa. Jean-Pierre est un passionné. L' ours est bien présent dans la maison : aquarelles, livres, sculptures

Un très bon ami de Jean-Pierre qui écrit parfois dans le forum nous rejoint en famille. C'est Franck. La journée passe, la pluie tombe toujours, on ne regrette pas notre décision d'annulation du rendez-vous d'Arasp ce matin. Jean-Pierre me raconte ses sorties, ces deux fois où l'ours se déroba à son regard. Il fait de moi " l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours " ! Je raconte mon pèlerinage de la veille aux cabanes de Bendous. On discute encore IPHB et ADET, ourson de Canelle toujours disparu, espoirs et désespoirs pour l'homme, l'ours et les générations futures. Franck a fait un film qu'il a monté et mis en musique où l'on voit Jean-Pierre en prospection ours. Visionnage. Ca en fait un film vrai et touchant de sincérité sur le feu que l'ours a allumé en nous. On finit par dîner aussi tous ensemble. Cette journée familiale avec Jean-Pierre et Franck est une chance, un réel privilège et un vrai plaisir ! Je suis heureux de les connaître enfin sans un écran interposé. C'est l'une de ces rencontres qui rendent plus fort, plus fort de se sentir semblables dans notre passion de la montagne et de son âme indiscutable : l'ours !

Retour au gîte de Lescun à minuit et demi ... Je me glisse en silence dans mon duvet : il y a du monde ce soir ... et ça ronfle déjà ! Demain je me lève coute que coute : le beau temps est attendu.

Vendredi 6 mai 2005:

Une grande journée s'annonce et je ne le sais pas encore. Je me prépare pour une grande randonnée en autonomie et en solo. Le temps est bon. Ce sera le vallon de Sagne en vallée d'Ossau. Je me dirige vers le Col de Marie-Blanque " cher à Kenneth White " ! Paysages rustiques et grands espaces attachants. Chantier forestier le long de la route. Je photographie des panneaux de l'ONF assez amusants : comme d'habitude, l'homme est indispensable à la forêt, toujours la même idéologie construite :

" L'exploitation de la forêt est utile, la forêt est un milieu vivant qui se régénère, dans cette évolution, le bûcheron et le débardeur sont des acteurs indispensables ".

Sans commentaires.

Plateau du Bénou, je songe à Joseph Paroix, le berger qui aime aussi l'ours ! Sa fille vient de " doubler " l'actrice Romane Bohringer en nageant dans un lac de montagne sur fond de Pic du Midi d'Ossau. Image poétique : seule une enfant de berger pouvait le faire ! Il habite là et ... a du pour cela faire face à l'inénarable maire de Bielle, ennemi primaire de l'ours, qui a mis d'incroyables bâtons dans les roues des Paroix pour éviter leur installation. Baylaucq est contre l'ours ET contre l'élevage semble-t-il... Il faut dire que Monsieur Paroix, même si Bielle n'a pas adhéré à l'IPHB, n'aimait pas vraiment, lui non plus, les pistes pastorales dessinées à grand renfort de bulldozers dans la " zone IPHB " ... et ça ... c'est difficilement pardonnable au pays de M. Baylaucq, celui qui déclara au lendemain du meurtre de l'ourse Mellba par un chasseur en 1996 :

" On a fêté ça jusqu'à minuit. Si on laisse faire ces fous, les ours courront bientôt dans les rues pour dévorer nos enfants. Mon rêve est d'en avoir un a bout de mon fusil, je le flingue et bon débarras ".

Là encore, sans commentaire.

Redescente en Ossau. Une carrière dans le virage. Je m'inquiète de toutes ces sources de dérangement pour l'ours et je plonge vers les villages d'Ossau : Bielle et son Ubu roi, la falaise aux vautours d'Aste-Béon, Les Eaux-bonnes, Les Eaux-chaudes, Gabas, le Pourtalet. Au tunnel, des camions qui me foncent dessus sans scrupule me donnent des sueurs froides à deux reprises. Ceux qui sont désormais interdits de Somport en vallée d'Aspe (fermé !) se rabattent ici ... où on s'en plaint déjà.

(Quelques jours après, la route à ce même endroit s'effondre, preuve que les camions de transit international n'ont rien à faire dans ces vallées de montagne si ce n'est asphyxier, casser les oreilles et ronger les routes. Heureusement, pas de passage au moment de l'effondrement. J'aime bien l'idée que pour quelques semaines, vallées d'Aspe et d'Ossau sont fermées aux camions. Ouvrez la fenêtre. Respirez !).

Heureusement, là aussi, d'admirables artistes contemporains ont balisé la route en y peignant les traces de l'ours. On se sent tout de suite accueilli chaleureusement ! Je bifurque sur la piste forestière de Sagne. Sachant que c'est l'une des zones à ours les plus importantes, j'espère secrètement que la piste sera la plus étroite, la plus cahotique et la plus impraticable possible ! Raté : elle est large, parfois bitumée et ouverte à tous. Je me gare au petit pont à partir duquel l'interdiction de circuler est plus suggérée qu'effective puisqu'une énorme pierre fait illusion d'obturation, alors qu'une voiture y passe sans encombre sous mes yeux. J'en croiserai d'ailleurs deux autres qui redescendent ... en fin de journée, une autre sera garée à mes côtés et en début de randonnée, j'en ai entendu une autre arriver ou repartir. Ca roule par là ! hélas ... j'aurais préféré me garer au bord de la route, bloqué par une barrière réelle dans un lieu aussi précieux. Mais ici, c'est la France alors l'ours et sa tranquillité ...

10 heures. Je retrouve le sentier et immédiatement, l'immensité forestière prouve que je suis plongé aux pays de l'ours. Ici, l'écosystème forestier semble intact, imposant, il me semble à tout moment possible de rencontrer le cortège des pics forestiers, tous les ongulés imaginables, le grand tétras ...

Je suis aux aguets, la vue étant le sens le plus exploité, le plus sollicité. L'ouïe aussi. Je crois reconnaître des griffades d'ours sur un tronc de hêtre. Je cherche sur d'autres arbres. Au sol, je traque les empreintes. Je tombe sur un revoir : rien. Je le réinstallerai au retour. Trois fois, les biologistes et bénévoles du réseau ours brun ont déposé des grillages sur des troncs pour espérer capturer des poils de la bête. Toujours rien. C'est qu'il n' y a malheureusement plus grand monde pour y accrocher sa jarre d'ours dans le secteur... Je me fais le plus discret possible, le plus silencieux possible, j'assure chacun de mes pas pour éviter de faire craquer la moindre branchette. Ambiance de traque feutrée, concentration, l'un de mes rares points communs avec les véritables chasseurs, s'ils existent.

Le sentier change de versant, la vue se dégage parfois sur de belles pentes forestières. Je m'approche de l'Arrec de l'Ayous qui gronde et semble vouloir sortir de son lit. Je ne crois pas si bien dire : en m'approchant, impossible de traverser l'impétueux torrent gonflé des eaux de la fonte des neiges ! Force impressionnante, passage impraticable. Je remonte vers un couloir d'avalanche où s'accumulent 3 à 4 mètres de neige mêlée de glace. Impossible là aussi : trop d'éboulis instables, trop d'incertitudes pour un itinéraire physique et exposé. Seul, je n'y vais pas. Alors je redescends vers la prise d'eau. Là encore, impossible ! Je finis par repérer une possibilité en aval. Je réussis à traverser, il faut encore rejoindre le sentier dans la forêt, jonction très abrupte et glissante, puis remontée régulière avec la musique de l'Arrec sur la droite.

Majestueuse forêt quasi " primaire " ou " à caractère naturel " avec des chablis et des volis à en faire pâlir Bialoweiza, la grande et mythique forêt primaire d'Europe, en Pologne.

Celle qui est hantée par l'ours et le bison d'Europe, celle qui fait vibrer tous les amoureux de nature sauvage. Du ver nématode au champignon et de la sittelle à l'ours, biodiversité maximale ici, c'est certain !

Le sentier finit par donner vers la lumière, en direction du replat du Péneblanque. Avant de quitter la forêt, la neige en névé fait son apparition et borde le sentier côté gauche. J'ausculte à la recherche de traces animales. Rien.

Je poursuis et me retrouve " à découvert ". Le paysage se dégage de part et d'autre. Deux versants, au milieu, l'Arrec qui serpente en tresses, au fond, une butte puis la muraille enneigée du Pic de Goust (2546 m.) dont la crête relie le Soum de Nary (2211 m.).

Après des heures de montée, rejoindre une petite plaine d'altitude, ensoleillée et enneigée est toujours agréable. Une marmotte m'accueille puis s'enfuit en hurlant. Altitude : 1300 mètres. Le soleil cogne très fort sur la neige, il est environ 13 heures. Je chemine en longeant le relief sur la gauche. Un beau névé borde le sentier et remonte vers la forêt sur des éboulis légèrement embroussaillés. Je le scrute vaguement, sans trop y croire. Et boum ! Mon cœur fait " boum " !

Je viens de découvrir ici ce qui me fait courir les sentiers depuis une bonne dizaine d'années. Là ! Sur la neige à gauche, justement. Monte une superbe piste avec empreintes et griffes. L'ours ! C'est certain ! C'est bien lui qui est passé par là ! Sous l'effet de l'émotion, je pense immédiatement à l'ourson de Canelle dont on est sans nouvelles depuis l'Automne. C'est possible! Mais je dois bien vite me rendre à l'évidence : ces empreintes sont ... énormes ! Le Yéti est dans les parages !

Je regarde immédiatement s'il ne se trouve pas en bout de piste. Je scrute d'abord à l'œil nu puis plus systématiquement aux jumelles : pas question de déranger quelque ours que ce soit. Rien. Mais que sa piste est belle ! Et quelles paluches ! Mon cœur bat la chamade. J'ai envie d'en parler à tous ceux que j'aime tellement je suis heureux et j'ai l'impression agréable de ne faire plus qu'un avec cette montagne, avec les Pyrénées. Sentiment de plénitude, de douceur, de mission accomplie, de se sentir accepté, intégré, privilégié par la nature. Un cadeau inestimable vient de m'être offert, il donne immédiatement envie de se montrer à la hauteur. Je pense encore aux " peuples accordés aux écosystèmes " et à ce moment là, j'en suis certain, j'en fais partie !

Plusieurs longues minutes passent sans que je ne sache que faire : le bonheur m'immobilise. Je décide par commencer à longer la piste. Bien vite, je suis obligé de chausser les raquettes : je suis à mi-genou dans cette neige de mai. L'ours, lui, a bien mieux réussi que moi : ses pattes ressemblent à des raquettes naturelles. Les cinq doigts et les griffes se détachent nettement sur la neige. Pas de doute : étant donné le soleil qui chauffe et la pluie d'hier soir, il est passé entre maintenant, il y a cinq minutes et la nuit dernière. Peut-être se cache-t-il encore juste au-dessus dans la forêt. Me flaire-t-il ? M'épie-t-il ? M'a-t-il entendu arriver ? Je n'irai pas plus haut que les traces sur le névé pour éviter toute perturbation, toute situation où l'ours se sentirait suivi.

J'ausculte chaque trace, je photographie les plus nettes avec beaucoup de mal tant la réverbération sur la neige empêche une utilisation précise de l'écran de contrôle. Je suis obligé de " mitrailler " à l'aveuglette. Je vais me livrer à cette analyse de chaque pas jusqu'à 15 heures. J'ai faim, mes pieds nagent dans mes énormes chaussures de cuir gorgées d'eau mais ... la situation exceptionnelle justifie largement l'inconfort !

Par endroit, l'ours est passé " à gué " délaissant la neige pour quelques grosses pierres. Ailleurs, il a cassé quelques fines branches, il semble s'être couché sur des buissons aplatis. Ca ressemble à ce que l'on appelle justement une " couche ". J'inspecte lentement, patiemment, chaque branche en espérant recueillir quelques poils de la bête ! Grâce à Jean-Pierre, j'en ai vu hier, je sais exactement comment ils se présentent : beaucoup plus fins qu'on ne l'imagine et ondulés, " crantés ". Après pas mal de difficultés, je finis par en trouver trois que je place délicatement ... dans la boite à carte de mon appareil photo ! Seuls les églantiers ont accroché grâce à leurs épines.

La piste disparaît au-dessus du névé. J'entends alors des aboiements : deux chiens rôdent autour de mon sac à dos, le flairent puis s'éloignent. Je pense d'abord que ces deux Epagneuls bretons précèdent un promeneur. Pas du tout : ce sont bel et bien des " chiens errants " !

Ils ne sont pas agressifs, mais comment ont-il atterri là ? Ont-ils traversé l'arrec en crue ? J'en doute...

J'apprendrai en fin de journée qu'ils viennent du fond de la vallée : de retour à mon point de départ j' ai rencontré un ami de leur maître, un chasseur propriétaire de gîte, qui m'a expliqué qu'ils s'étaient échappés depuis deux jours en pistant, sur un coup de tête, des chevreuils dans la forêt ...

Qu'est-ce que ça aurait donné si un troupeau s'était trouvé là ? Et si en plus on y avait relevé les indices de présence de l'ours, que des moutons affolés par les chiens se soient dérochés? J'imagine facilement la suite, l'ours bouc-émissaire.

Je redescends la piste jusqu'au sentier en réalisant des photos en gros plan avec ma main et un sifflet pour donner l'échelle. Puis j'inspecte toute la ceinture de névés pour vérifier si l'ours n'est pas passé ailleurs. Rien sur les rives de l'arrec dans la boue. Les tresses du torrent ne sont pas commodes à franchir mais je finis par atteindre l'autre rive en jouant à saute-cailloux et en mouillant mes pieds. Je peux enfin m'installer pour un déjeuner sur l'herbe bien mérité, du côté de l'autre versant, juste en face des traces, luxe suprême, jumelles autour du cou car on ne sait jamais !

Je cherche ensuite d'autres empreintes de ce côté. Surprise ! Elles se trouvent là même où je viens de prendre mon repas. L'ours est bien descendu de l'éboulis du Soum de Nary vers le Pène blanque qu' il semble avoir directement traversé, arrec de l'Ayous compris, pour remonter vers l'autre versant boisé du Médevielle. Sans s'arrêter pour laisser le moindre indice tel que des pierres retournées à la recherche de fourmis délicieuses.

Par précaution, J'inspecte quand même la totalité de l'immense névé en fer à cheval qui borde le mini cirque rocheux sous la butte du Rapoup, formant un piège à trace complet et continu en bordure des pentes. La chance d'atteindre non pas l'éternité mais l'exhaustivité ! Aucune autre trace d'ours supplémentaire, en toute logique, mais des renards, des marmottes et ... des chiens ont laissé les leurs. Donc, l'ours n'a fait que passer, coupant le vallon d'un trait, c'est confirmé.

Je pense à Néré. Ici, c'est plutôt son domaine à lui. Cet ours issu du lâcher d'ours slovène mené par Artus et l'ADET en 1996 et 1997 est venu revigorer le noyau d'ours béarnais que Lassalle et l'IPHB se satisfaisaient de voir sombrer dans une consanguinité pitoyable puisqu'ils ont toujours différé aux calendes grecques tout lâcher d'ourse femelle. La dernière femelle, Canelle, en était réduite à se reproduire avec son père Papillon. Quel beau symbole que ce slovène devenu le bienfaiteur des pyrénéens ! Voilà l'Europe qu'on aime, l'Europe sauvage et libre, celle qui laisse s'épanouir la nature !

Alors ... Néré ? ... Voilà ce que dira Jean Jacques Camarra, le spécialiste de l'ours après analyse de mes photos :

" Monsieur,

Merci de vos envois de photos.

[...] La longueur de l'empreinte de la patte arrière se situe entre 190 et 200 mm. On peut donc dire qu' il s'agit d'un gros ours, probablement un mâle, dont la taille se rapprocherait de celle d'un individu connu sous le nom peu enviable d'Aspe Ouest. Cet individu a d'ailleurs été repéré en plusieurs endroits de la haute vallée d'Ossau ce week end et ce début de semaine.

N'hésitez pas à me contacter si vous avez des questions à ce propos.

Merci

JJ Camarra

Coordinateur du Réseau Ours Brun "

Il ne s'agissait donc pas de Néré. " Aspe-Ouest " est passé à l'Est !

A la joie d'avoir eu la chance de tomber sur de si belles traces, succèdent maintenant des interrogations et des inquiétudes : sans femelles à des kilomètres à la ronde, Néré et " Aspe-Ouest ", en rut, ne vont-ils pas quitter les lieux et se diriger vers l'Est, cap sur les Pyrénées centrales où vivent une quinzaine d'ours ? Sentiment d'injustice criante, impression de gâchis et d'acte contre-nature m'envahissent : pour le caprices d'une poignée de zélus, clientélistes, le fil qui relie l'ours aux Pyrénées et aux pyrénéens depuis l'aube des temps risque d'être pour la première fois coupé, dès cette année 2005 ... Double meurtre finalement : celui de Canelle ... et celui du noyau d'ours autochtone des Pyrénées Atlantiques. Aucune ombre d'esquisse de réparation en vue, aucune ! Manière tellement peu glorieuse d'entrer dans l'histoire pour les responsables directs et indirects de cet incroyable gaspillage de vie. C'est impensable. J'enrage !

Je redescends néanmoins dans la vallée par la forêt en préférant garder l'allégresse de ma découverte. En passant derrière le massif forestier dans lequel l'ours a poursuivi sa route, je me dis qu'il s'y trouve surement encore à cette heure. Qu'il y soit en paix !

Mes sens sont toujours en alerte pour ce trajet retour, pas de temps perdu cette fois-ci pour traverser l'arrec, mais aucun indice particulier. Je rafraîchis le revoir pour les suivants. Voilà la fin d'une journée d'exception, une de celles qui décuplent la force, l'énergie et la motivation pour défendre bec et ongle l'ours et les Pyrénées.

Sur la route, je regarde les panneaux de la " route du fromage " d'Ossau d'un autre oeil. Malaise.

Le téléphone passe à nouveau, j'appelle Jean-Pierre et Loulou : ils sont ravis de ma découverte, même si chez eux aussi, l'inquiétude est là. Loulou me propose de dîner chez lui, il habite l'un des plus beaux villages du monde avec Lescun. Je trouve la petite maison blanche, accueillante et vivante. Loulou ressemble à un vrai guide des montagnes du Sud: brun et cheveux libres dans le vent avec un bel accent béarnais.

On discute ours, traces, IPHB. Loulou me raconte comment il a été projeté à la tête de la mobilisation pour l'ours au lendemain de la disparition de Canelle. Il me parle de l'immense espoir que ça a représenté, puis des déceptions et de la désillusion quand le rouleau compresseur du clanisme et du clientélisme local a broyé la solidarité nouvellement affichée avec l'ours qu'il avait réussi à libérer. L'IPHB reste le moteur de la fin de l'ours et le système n'a pas encore perdu de son efficacité. Seul un profond changement politique pourrait améliorer la situation. Mais Loulou n'a pas l'âme du politique. Il ne veut pas non plus devenir un deuxième Pétetin, qu'il a bien connu et dont il a pu observer la chute horrible, du haut de l'affiche, à l'hôpital psychiatrique. Il y a des combats qui broient un homme . Loulou le sait et il connaît bien ses limites, comme tout vrai montagnard.

On est d'accord avec l'idée que la plupart des gens de la vallée sont indifférents à l'ours, mais aussi, à l'exceptionnelle beauté de la vallée. Il me confie qu'il a pour projet désormais de travailler sur cet aspect des choses : l'éducation à l'environnement. Il faudrait songer aussi au paysage : il me semble que c'est un thème propre à valoriser la vallée, à lutter contre sa banalisation rampante et à réconcilier nature et culture en faisant apparaître clairement la part des uns et des autres. Une prise de conscience rapide s'impose sans quoi, il en sera bientôt fini du caractère extraordinaire de cette vallée. Son véritable atout.

Je regagne très tard le gîte de celui que Loulou appelle affectueusement "l'émir de Lescun", pour une nuit où je vais plus que jamais m'en remettre à " la grande ourse " : les étoiles vont briller un peu plus fort cette nuit, j'en suis sur. >>

Samedi 7 mai 2005

Très belle journée de grand beau temps. Quel dommage de devoir redescendre ! Du gîte de Lescun, j'aperçois les crêtes de Labigouère que j'ai sillonné au Printemps dernier. Lescun, plus beau paysage des Pyrénées !

Direction Arbas, " LE " pays de l'ours, l'autre pays de l'ours : celui qui sourit avec son Archange Elie, le maire qui sait tout réconcilier !

Jusqu'à Oloron, les traces d'ours sur les panneaux de la DDE tracent la route tout au long de la vallée d'Aspe. Mais c'est vers Asp ... " e t ", " Aspet ", qu'il faut désormais aller. La route est plus longue que prévu. Je fais une halte au Col de Larrieu. Je paye ma très longue journée d'hier : insolation, maux de tête, fatigue. Une vraie gueule de bois après ma fête de l'ours ! Un vol de six rapaces, des bondrées apivores, viennent m'enguirlander de leur cris aigus à haute altitude, elles tournent, virent puis repartent. Mon pitoyable état les a surement agacé !

Arrivée à Arbas. Tout semble souriant, le village est vivant, les enfants jouent dans les rues et sur les places, un chapiteau donne un air de fête, des jeunes se cherchent et se retrouvent pour vivre leur printemps comme il se doit, la vie, quoi ! Le contraste est quand même saisissant avec les villages en crise du Haut-Béarn. Deux mondes bien différents et pourtant si semblables ... Voilà ce qu'écrivait sur le forum de l'Adet François Arcangeli, le maire d'Arbas, lorsque j' y évoquais la menace de fermeture de l'école du village dirigé par jean Lassalle, Lourdios-Ichère :

" Non, je te rassure : l'école d'Arbas ne va pas fermer !
Je ne ferai aucune ironie sur le cas de Lourdios, parce qu'une école qui ferme, c'est une des pires choses qui puisse arriver à un village. Mais, tout de même...
Force est de constater que la dynamique semble être toujours du même côté : nous avions déjà observé que la population de berger avait décliné comme l'avait fait l'ours, et qu'elle augmente à nouveau depuis son retour.
Bien sur, ce n'est pas le retour de l'ours qui repeuple les écoles, mais en 1995, lorsque j'ai été élu maire, il y avait 7 ou 8 enfants scolarisés à arbas et un seul de moins de 6 ans. Première action de la nouvelle municipalité, nous avions entièrement rénové l'école et changé le mobilier (celui de l'époque avec les encriers...) et nous avions acheté 16 tables pour les enfants, de quoi voir venir... jusqu'en 1998 ou il n'y en avait plus assez : l'effectif tourne depuis à 18-20 élèves. A Arbas, le recensement de 99 a fait apparaître une augmentation de la population de l'ordre de 20 %. Depuis, l'augmentation s'est amplifiée et nous sommes à +30 % depuis 99. La population des moins de 6 ans approche la vingtaine.
Bien sur, ce n'est pas l'ours qui a fait venir tout ce monde, mais un peu quand même, et en tout cas il n'a fait partir personne !
Comment disait-on déjà ? Qu'au travers de la question de l'ours, il fallait développer les qualités humaines car nous avons besoin de ces qualités pour aborder les défis qui se posent à nous.
Nous y sommes. "

Juste au-dessus du village, hêtraie-sapinière, des crêtes, des montagnes, n'en déplaise à certains inimaginables détracteurs de l'ours qui refusent même à Arbas sa qualité de village de ... montagne ! Grotesque ...

Ici, les panneaux officiels parlent d'ours : pas la peine de les taguer pour réclamer justice ! j'arrive au siège de l'Adet. Un bel ours sculpté dans le bois l'annonce. La mairie a acheté une agréable maison mise à la disposition des associations. C'est un peu " la politique autrement ", ici ! Office du tourisme au rez-de chaussée, bureaux de l'ADET à l'étage. A l'office, une documentation sur l'ours à profusion : une habitante du village pose des questions sur la situation de l'ours. Concernant cet animal, rien ne semble tabou ici. Tout se fait dans la sérénité, de façon ouverte. La carte de présence actualisée des plantigrades est d'ailleurs affichée comme le serait celle des prévisions météo.

Dans peu de temps, " notre " réunion va avoir lieu ! C'est la seconde rencontre des amis de l'ours qui communiquent via la toile sur le forum de l'ADET. Chacun est curieux de mettre un visage aux pseudos et aux noms que l'on côtoie régulièrement par écran interposé.

Un petit attroupement se forme devant la maison des associations et du pays de l'ours : un brin de timidité amusé et chacun donne son nom ou le pseudonyme utilisé sur le forum : " Ah, oui, c'est donc toi ! ". Marrant.

En habitué de la logistique efficace et conviviale, Alain Reynes nous propose de préparer les victuailles du petit festin qui s'annonce et assez rapidement, la réunion commence. On sent le pro qui sait bâtir un ordre du jour en quelques secondes en tenant compte des doléances de chacun. Au programme de la discussion, pastoralisme, différence entre Béarn et Pyrénées centrales, un point sur la Slovénie, peut-être un point sur la forêt, un autre sur le forum et sur son incroyable succès et ... très attendu : les dernières nouvelles officielles. François Arcangeli nous rejoindra plus tard, il écourtera un week-end familial en Espagne pour l'occasion.

Après un tour de table où chacun se présente et explique ses différents engagements associatifs, le débat prend place et chacun y apporte le maximum d'information pour clarifier nos arguments, les étoffer, les justifier le mieux possible. Evidemment, à chaque instant et dans toutes les têtes, c'est l'échéance de l'automne 2005 et de son lâcher de cinq ourses sur la chaîne pyrénéenne que nous avons en ligne de mire.

Quels sont les chances de succès, les risques d'échecs, quels informations disposons nous pour se faire une idée la plus juste possible ? Effervescence maîtrisée et confiante.

En tout cas, Alain, au nom de l'ADET affirme et affiche une sérénité et un optimisme qui font plaisir à voir et qui nous aident à recharger nos batteries ! Pareil du côté de Jean-Paul qui revient d'un voyage en Slovénie : les préparatifs vont bon train là-bas. Bien sur, il y a le point noir du Haut-Béarn qui nous pèse tous. Mais ici, une dynamique forte semble enclenchée.

Un bon buffet froid, convivial et arrosé comme il se doit vient conclure ces échanges. Jean-Paul en profite pour montrer ses clichés d'ours dans les réserves naturelles slovènes ... ça fait vraiment rêver. Plus tard, François finit par nous rejoindre : l'optimisme est confirmé, de nombreux élus sont favorables à l'ours, d'autres, opposés comme par principe, réalisent parfois de façon cuisante ou comique que non seulement leurs administrés, mais aussi leurs collègues élus sont majoritairement pour l'ours !

Pourtant, l'arbre des opposants hurleurs cachait, à leurs yeux, la forêt des silencieux sympathisants locaux à la cause de l'ours ! Reprendre contact avec le terrain est à cet égard parfois bien surprenant pour ceux qui sont habitués à rabâcher la même rhétorique jaunie contre le baveux ursus arctos ... horribilis !

Plusieurs autres sujets sont abordés au fil de la soirée... notamment la prochaine publication de plusieurs ouvrages sur cette magnifique aventure humaine de l'ours. Alain nous a mis l'eau à la bouche et ... bonne nouvelle, tout devrait être prêt pour les automnales 2005.

C'est la cohabitation entre les pyrénéens et l'ours à travers l'histoire et la culture qui sera à l'honneur dans l'un de ces livres. Les " Automnales " ne sont-elles pas d'ailleurs " la fête de l'ours " de notre siècle , nouveau témoignage de l'ouverture des pyrénéens au reste du monde et ... de leur attachement effectif à l'ours brun ?

Fête au nom de leur Histoire culturelle et même économique, au nom de leur capacité d'écouter la société qui les entoure et surtout ... au nom d'une volonté affichée de jouer pleinement leur rôle en préservant un patrimoine naturel et collectif inestimable vis à vis des générations futures. Un patrimoine que d'autre, à l'aide du mot " patrimonial ", justement, ne se privent pas de piller sans vergogne de l'autre côté de ces montagnes, dans un autre pays de l'ours ... IPHB ? Institut de Pillage du Haut-Béarn ?

Je me dis, à l'image du bon vieux Néré, puissent les valeurs que l'on ressent fortement ici, en Pyrénées centrales, se lier bientôt aux valeurs tout aussi estimables des Pyrénées Atlantiques pour que le plus tôt possible, LES " pays de l'ours " ne fassent plus qu'UN, l'expérience des uns servant et enrichissant celle des autres dans des échanges qu'il me plait d'imaginer fructueux entre gens du même peuple montagnard. Entre gens du pastoralisme notamment. L'Association pour la Cohabitation Pastorale, qui siège à Siguer, en Ariège, pourrait être l'un des pivots de cette solidarité retrouvée.

Comment faire comprendre l'importance que des hommes du XXIème siècle, en 2005, peuvent attacher, en dehors de toute considération économique, partisane, marchande, politique, religieuse ... à ce que leurs enfants et les enfants de leurs enfants aient un jour le droit de remonter un torrent pour avoir à leur tour la chance de croiser les traces de l'ours dans la neige ?

" On n'a pas besoin de certitudes mais de traces, seules les traces font rêver " dit René Char...

C'est de l'enchantement du monde dont il s'agit. " Pas d'humanité heureuse dans un monde désenchanté ! " Entendez cela Messieurs et Mesdames les spécialistes de l'opposition à l'ours par tous les moyens, entendez-le ! Car ... " les temps changent " comme le dit la chanson, méfiez-vous ! Et si vous vous sentez tellement impuissants, méditez cela :

" quand les grimpeurs observent de loin la montagne, tout est obstacle ;
c'est en avançant qu'ils trouvent des passages (...)
Essayer avec l'idée que la route est barrée, ce n'est pas essayer.
Décider d'avance que les choses feront obstacle au vouloir, ce n'est pas vouloir.
Aussi voit-on que les inventeurs, explorateurs, réformateurs, sont des hommes qui ne croient pas à ce barrage imaginaire que fait la montagne de loin "
(Alain)

Mon voyage d'un pays de l'ours à l'autre s'est achevé avec cette nuit étoilée au-dessus d'Arbas et avec le vœu que cet unique (et indivisible !) " pays de l'ours " à l'échelle de toute la montagne pyrénéenne, soit bien celui du vouloir et de l'invention, mais aussi, celui de la réconciliation.

Réconciliation de l'Homme avec l'ours ... mais aussi, réconciliation des hommes entre eux, voire à l'intérieur d'eux mêmes. Intimement, en chacun de nous, dans ce qui fait de nous tous des " Homo Sapiens " en quête de ce second " Sapiens ", " hommes qui savent qu'ils savent ". Et qui ont donc la conscience que notre lien à la nature doit prioritairement être restauré. C'était urgent, c'est désormais vital.

Sans en être un simple prétexte, les Pyrénées et l'ours peuvent aussi nous y aider, en une occasion réellement historique que personne ne mérite de rater.

J'aimerai pouvoir l'affirmer définitivement : rendez-vous cet Automne !

Patrick PAPPOLA

PS :

Une petite note d'espoir de dernière minute pour nos trois ours mâles du Haut-Béarn, Néré, " Aspe-Ouest " et " Mohican ", l'ourson de Canelle :

" Communiqué du 13 juin 2005 :
Association des bergers des vallées d' Ossau, Aspe et Barétous
Quartier Castet 64360 Monein Le 6 juin 2005

Un engagement d'avenir pour le berger et pour l'ours

L'association des bergers des vallées d'Ossau, Aspe, Barétous, co-titulaire (avec le FIEP) de la marque " Pé descaous " le fromage fermier avec l'empreinte de l'ours
- Réaffirme son engagement pour une montagne pyrénéenne où cohabitent un pastoralisme vivant et l'ours brun,
- Souhaite que tout soit fait pour assurer, dans la concertation, un avenir à la population d'ours brun sur l'ensemble des Pyrénées et notamment dans le Béarn,
-Souligne la nécessité de pérenniser les mesures en faveur des bergers transhumants dans la zone à ours des Pyrénées-Atlantiques.

La Présidente de l'Association : Françoise Perret

Contact : Françoise et Alain Perret
Quartier Castet 64360 Monein
"

Voilà un pas encourageant vers la " réunification " du pays de l'ours, Ca fait du bien, non ?

Texte et Photos de Patrick Pappola.


Le récit véridique du séjour de Patrick Pappola entre Hendaye et Banyuls est paru alternativement sur les forums d'Ourse en Aspe et de l'ADET Pays de l'ours.
( ces deux forums sont aujourd'hui fermés )
Photos exclusives pour OursenAspe.free.fr

Toutes les photos "D'un pays de l'Ours à l'autre"
sommaire
Canelle et Mohican
Les secrets volés de Papillon
En Béarn, même morts les ours rapportent !
D'un pays de l'Ours à l'autre
L'ours brun des Pyrénées
L'ours en vallée d'Aspe
Marche pour l'Ours, le 28 novembre 2004
Charges d'intimidation d'une ourse suitée
Le Berger et l'Ours
Canelle, une chanson pour l'Homme et pour l'Ours
Canelle, slam par Kalune
Ours, dix erreurs fréquentes
Ours brun en Europe
Chronologie du long déclin de l'Ours en France
J'ai vu l'homme qui a vu l'ours
La mythologie de l'ours
Jean de l'ours
La gestion de l'ours par l'IPHB
Communication de Monsieur Serge Lepeltier
En Béarn, des montagnes sans ourses
Ours brun dans le monde
Autres sites parlant de l'ours des Pyrénées