"C'était fin aout, les myrtilles étaient mures, je mangeais les myrtilles derrière une crête, je lève la tête ...l'ours ! il me regardait tranquille, oh ilh des putes ! Je dis: qu'est ce que tu fout là ? Le temps que je mange les myrtilles il me regardait, mais je ne l'avais pas vu arriver, j'ai gueulé un peu il a foutu le camp. Tu vois, tu prends le sentier qui monte au bois d'Escurés, avant d'arriver au bois tu as un petit ruisseau là et tu monte le petit rapaillon tu as une crête là, ça fait comme ça (geste /\ avec les mains) à 15m du petit ruisseau qui descend, moi j'arrivais de Bérangueil et lui il arrivait du côté d'Escurés, alors il est parti vers le bois d'Escurés, et moi je suivais le sentier, je marchais, je l'entendais plus, je m'arrêtais, putain! il se foutait à marcher, à chaque fois pareil je l'avais à 15m au dessus, le soir même il est parti au Labays il nous a bouffé une brebis le con! Si je l'avais laissé partir à Bérangueil il n'aurait pas été bouffer la brebis au Labays."
Même si le berger le considère comme son ennemi, il ne voudrait pas le voir disparaître, il le respecte, mais les bergers veulent préserver leurs ours et ne veulent pas entendre parler de réintroduction car ils savent que "l'ours d'ici ne s'attaque qu'à 1 ou 2 brebis pour les manger, puis il en a assez pour 15 jours et ne revient pas, mais l'ours étranger lui c'est un tueur !"
Cela n'est pas justifié car l'expérience d'introduction d'ours slovènes en Pyrénées centrales prouve que ces ours adoptent le même comportement que leurs congénères autochtones et s'avèrent être ni plus ni moins prédateurs.
Bien des attaques de troupeaux ont été mises sur le dos d'ours introduits, comme l'individu Luz en pays Toy qui se révéla être le vieux Papillon.
Une rumeur toujours bien vivante veut que l'ours qui en 1991 a occasionné des dégâts importants sur les estives autour du Mailh Massibé, lui n'était pas un ours d'ici, on raconte qu'il fut importé de manière clandestine dans les réserves Lalonde, qui de 1990 à 1993 couvraient une large partie de la vallée, cet ours sanguinaire venait d'un pays ou il y a beaucoup de gibier.
Devant le nombre important de brebis attaquées il s'était dit que cela ne pouvait pas être l'œuvre que d'un seul ours mais de plusieurs ours carnassiers et donc forcement étrangers, certains affirment avoir vu deux, d'autres trois ours furtivement lâchés par les écologistes à la tombée de la nuit. "On n'a jamais su d'où ils venaient, ni comment cette affaire a été financée" m'a t'on dit.
Cette rumeur amplifiée par les échos de la presse et entretenue par certains élus très enclins à ridiculiser les technocrates de Paris incapables de gérer une situation qu'ils avaient eux même provoquée, fut un argument sur mesure pour discréditer les récentes initiatives (maladroites) du ministre de l'environnement de l'époque, ce qui entraîna l'abrogation des réserves Lalonde en 1993 et, peu de temps après, la constitution de l'institution patrimoniale du haut Béarn sous la tutelle du nouveau ministre de l'environnement, Michel Barnier, le 31 janvier 1994.
Les ambroglios administratifs entre les hommes de terrain et leurs supérieurs ne fit qu'accroître le discrédit et l'on se gausse encore de l'incapacité des techniciens à capturer cet ours. "Ils ont passé 2 mois a vouloir le capturer, et par un beau jour ils ont réussi à le prendre, ils avaient des pièges, des lacets en câble, mais une fois qu'il a été pris, il n'y avait plus personne pour lui faire une piqure, et cet ours qu'est ce qu'il a fait ? Comme le lacet était mal amarré, il a arraché le câble et il est parti avec. Qu'est ce qu'il est devenu cet ours ? On en sait rien ! Il paraît qu'il y en a un qui a été tué du côté du cimetière de Bielle !" m'a t'on rapporté.
Les rumeurs ont la vie dure dans nos montagnes, même si les analyses génétiques, effectuées par un laboratoire de Grenoble sur les poils prélevés en présence des détracteurs sur les lieux des attaques, ont prouvées que cette ourse, car il s'agissait d'une femelle, était bel et bien de souche Pyrénéenne, rien n'y a fait.
Cette femelle, dénommée Pestoune ou Lagaffe, née en 1989, n'a pas été éduquée par sa mère (probablement morte), elle n'a donc pas appris à chasser et à se méfier des hommes, plus aucune trace d'elle n'a été relevée depuis 1993.
Les archives font état d'autres cas d'ours ayant un comportement atypique par le passé, ce comportement se conforte au fil des récompenses obtenues (les brebis), et l'absence de punitions infligées par l'homme.
Ce qui pour l'estive d'Aoua fut le cas, le berger qui avait la charge du troupeau le laissait sans surveillance.
En règle générale ces ours à problèmes l'ont payés de leur vie, les autres, les "normaux" sont acceptés et le berger sait comment s'en défendre: "il faut garder le troupeau en permanence, surtout les jours de brouillard, la nuit les brebis doivent être parquées et le chien pastou monte la garde et alerte le berger, la plupart du temps quelques coups de fusil tirés en l'air suffisent à le faire fuir, sans chercher à l'abattre."
L'ours est peu carnivore, beaucoup moins que l'homme, en tenant compte des pertes indirectes liées à l'affolement du troupeau les prédations de brebis par l'ours sont estimées à 0,1 % des pertes annuelles.
L'IPHB, qui à pris en 1994 le relais du parc national, rembourse la bête et le manque à gagner que sa perte occasionne ainsi qu'une prime de dérangement, cette dernière est payée par attaque et ne sont indemnisées que les bêtes retrouvées dans les 48 heures, "Une brebis qui s'est égarée dans la montagne comment la retrouver dans les 48 heures ? Des fois on ne la retrouve jamais."
Il y eut le cas de 30 brebis qui, suite à une attaque d'ours, se sont précipitées au fond du couloir d'Angue, ce n'est que longtemps après que les chasseurs ont retrouvé les carcasses.
Ceci contribue à maintenir la colère du berger contre l'ours, mais même la meilleure indemnisation ne compense pas la peine qu'éprouve le berger face à ses brebis tuées, brebis qu'il a soignées et aimées et qui sont sa seule ressource.
Cependant, actuellement, il est des bergers à qui l'on confie des troupeaux de brebis très importants pour les mener sur une estive louée. Ces brebis, du reste, sont taries précocement, l'agnelage et par conséquent la lactation ayant été avancée pour produire le fromage sur l'exploitation, ce qui entraîne un besoin moindre en personnel sur l'estive n'ayant pas de traite à faire. D'où un certain relâchement dans la surveillance du troupeau, qui conduit immanquablement l'ours opportuniste à s'y intéresser de prés.
De moins en moins de jeunes désirent travailler dans les mêmes conditions de solitude et d'isolement qu'on connu leur prédécesseurs. En ce début de IIIème millénaire on peut les comprendre, les normes européennes imposent la construction de salles de fabrication du fromage et des saloirs à l'hygiène irréprochable, cela s'accompagne toujours par la construction de nouvelles cabanes beaucoup plus confortables que les cuyalas d'antan, et souvent par une piste de désenclavement. Une nouvelle génération de berger perpétue le pastoralisme avec moins d'hommes mais autant de brebis qu'avant.
Et l'ours ? Sans renfort la population actuelle composée de deux mâles est condamnée, le fort taux de consanguinité due au trop faible nombre d'individus n'a pas permit un renouvellement compatible avec la bonne santé de l'espèce, après l'abattage de la dernière femelle de souche Pyrénéenne à la toussaint 2004 la lignée d'ursus arctos pyrenaïca est définitivement éteinte.
Mais pourquoi reste t'il si peu d'ours ?
Le déclin de l'ours des Pyrénées s'est amorcé il y a longtemps: Le développement de la chasse à l'ours avec l'apparition d'armes à feu dés le milieu du XIXéme siècle a été déterminante quand au nombre d'ours tués: des "chasseurs professionnels" prenant la place de ceux qui chassaient l'ours pour s'en défendre.
Après la seconde guerre mondiale les empoisonnements à la strychnine ont fortement contribués au déclin de l'espèce.
Le braconnage à aggravé la situation même après la protection officielle de l'ours en 1981:
Une dizaine d'ours ont été tués en Béarn et Soule entre 1976 et 2004 dont plusieurs femelles suitées, et cinq dans les Pyrénées Espagnoles.
Autres causes: le dérangement lié aux activités humaines dans les zones vitales pour l'ours, telles que l'exploitation forestière, la chasse (en particulier la chasse en battue) et le morcelage de l'habitat de l'ours par des accès (pistes ou routes) constituant des axes de pénétrations par l'homme pour ses loisirs. L'ours à besoin de tranquillité pour se reproduire et pour élever ses petits dans son habitat préféré qui est la hêtraie sapinière ou il trouve la protection tant physique que climatique, et ce ne sont pas les "barrières à effet pédagogiques" qui empêchent, entre autre, les pratiquants de sports motorisés d'emprunter les pistes.
L'homme est responsable de la disparition de l'ours, c'est donc à lui qu'incombe de protéger le biotope de l'ours et de favoriser la pérennité de l'espèce, par des mesures faisant fi des querelles de clochers et des intérêts économico-politiques.
Texte de Lionel Croquefer, rédigé en mai 2001 à partir de propos recueillis auprès de bergers, et actualisé en novembre 2004.