Cannelle était un symbole : la dernière ourse de la lignée pyrénéenne. En l’abattant, le chasseur d’Urdos n’a pas signé la disparition de l’ours, mais il a tué le mythe, le mirage de la sauvegarde de l'ours des Pyrénées à partir du seul noyau autochtone.
Cette acte gravissime met en lumière l’insuffisance de l’État et l’imposture stupéfiante de ceux qui depuis une dizaine d’années promettent en Béarn, à grands renforts d’argent public, de sauver l’ours des Pyrénées, pour constater aujourd’hui qu’il n’en reste presque plus, et qu’ils n’ont rien fait !
En effet, 16 des 18 ours présents aujourd’hui dans les Pyrénées sont issus de la réintroduction réalisée en 1996 et 97 dans les Pyrénées Centrales, sous l’impulsion de l’association « Pays de l’ours – Adet ».
Président de cette association, j’ai souvent été frappé de constater à quel point l’État prêtait plus d'attention et d'intérêt aux opposants à la réintroduction, quand bien même ils votent des amendements illégaux, qu'à ceux, sur le terrain, qui travaillent inlassablement au respect des devoirs et des engagements de la France.
Le paradoxe est d’autant plus frappant que l’expérience que nous avons menée en Pyrénées Centrales est une incontestable réussite ! Le simple comptage des ours le démontre, mais le succès de la réintroduction ne s’arrête pas là.
Tout indique la bonne adaptation des ours relâchés dans ce territoire préservé : reproductions fréquentes, précocité des femelles reproductrices, nombre important d’oursons par portée et faible taux de mortalité des jeunes. Autant de signes de la grande qualité du milieu et de la capacité d'accueil intacte des Pyrénées Centrales.
Génétiquement très proches des ours autochtones – il n’y a pas plus de différence génétique entre les ours pyrénéens et slovènes, qu’entre les hommes pyrénéens et slovènes ! - les ours réintroduits ont adopté le même comportement : même alimentation, même utilisation de l’espace, même taux de prédation.
Jamais un ours n'a agressé un homme dans les Pyrénées. Les ours réintroduits n’ont pas fait preuve de plus d’agressivité.
Quelques opposants s’y sont parfois trompés au point de stigmatiser le comportement inhabituel de l’ours de Luz (65), forcément « étranger» puisque prédateur… La suite a montré qu’il s’agissait en fait du vieux « Papillon », le plus emblématique des ours pyrénéens !
Le constat s'impose : la prédation sur les troupeaux ne dépend pas de l’origine de l’ours mais des pratiques pastorales. La prédation due aux ours est marginale, 150 brebis environ par an sur l’ensemble de la chaîne, soit environ 0,03 % du cheptel, à comparer aux 3% de pertes admises par les éleveurs du fait des maladies, des accidents, des vols ou des prédations non attribuables à l’ours. De plus, ces 0,03 % ne s’ajoutent pas au 3% existants : les éleveurs qui ont mis en place les mesures de prévention financées par le « programme ours » affirment avoir depuis moins de pertes qu’avant la réintroduction. En effet, la mise en place de chiens de protection permet en moyenne de faire chuter la prédation sur les troupeaux de 90 %. Le constat est édifiant : le nombre de brebis sauvées par les actions de prévention est très supérieur aux dégâts causés par les ours sur l’ensemble du massif. Aussi, 75 % de ces prédations, 150 brebis je le rappelle, sont logiquement recensés sur des troupeaux non gardés.
Grâce au « programme ours », les éleveurs pyrénéens bénéficient chaque année d'environ 700.000 € pour embaucher des bergers, rénover des cabanes, transporter leur matériel par muletage ou par hélicoptère, installer des radio-téléphones, des clôtures électriques performantes… C’est enfin par ce programme que l’on a imposé que les bergers soient déclarés, qu’ils bénéficient d’un salaire minimum, d’une couverture sociale et de congés…
La très grande majorité des éleveurs reconnaissent que l’ours cause peu de dégâts, et ils seraient fort déçus si les aides liées à son retour disparaissaient avec lui.
Car la réintroduction a créé des emplois, une centaine environ, représentant l’équivalent de 55 emplois à temps plein. Loin de vider les vallées, la réintroduction a dynamisé le territoire. Plus d’une centaine de professionnels bénéficient de chartes de qualité valorisant leur production ou leur activité. C’est le cas notamment des éleveurs engagés dans la valorisation du « broutard du Pays de l’Ours », viande ovine produite selon un cahier des charges qui promeut la qualité du produit comme la protection de l’environnement, et fait bénéficier à ces producteurs de marges inhabituelles.
C'est sur ce bilan positif en tous points de vue (culturel, économique, écologique…) que les populations locales soutiennent massivement le retour de l’ours. Elles le fêtent chaque année lors des « Automnales du Pays de l’ours » qui en 2004 ont accueilli en deux week-end près de 10.000 personnes en Ariège et en Haute-Garonne !
Rien, rien dans ce bilan ne peut remettre en cause les objectifs déjà affichés : reconstituer une population viable d’ours dans les Pyrénées.
Rien, sauf l’inaction.
Il faut le dire sans détour, ceux qui tergiversent ou qui s’opposent à de nouvelles réintroductions sont autant responsables de la disparition de l’ours dans les Pyrénées que le chasseur qui a tiré sur Cannelle.
Faut-il faire preuve d’un courage politique pour poursuivre la réintroduction ? La question paraît saugrenue en regard à l’adhésion de l’opinion* : 88 % des Français considèrent que l’ours fait partie du patrimoine pyrénéen ; 79 % des pyrénéens qu’il est valorisant pour l’image des Pyrénées, 72 % des français sont favorables à l’introduction d’ours supplémentaires dans les Pyrénées**. Bien des décisions politiques sont prises sans pareil consensus. Il n’est donc pas question ici de courage mais de conscience politique.
Nous devons nous rendre à l'évidence : notre représentation politique souffre d’inculture environnementale. Il suffit pour s’en convaincre de prendre connaissance des débats parlementaires ! Un chef de parti politique, pyrénéen, et généralement mesuré, déclarait il y a peu qu’un ours qui attaque un troupeau souffre de déviance et qu'il faut donc le soustraire à son milieu naturel, c’est à dire l’abattre. Il justifiait ainsi l’amendement anti-prédateur voté récemment à l’Assemblée Nationale, amendement honteux voté au mépris de la loi et des traités internationaux.
Au travers du débat sur l'ours, nous traitons en fait la question essentielle de notre relation à la nature et de la place que nous sommes prêts à accorder à l'environnement dans nos stratégies de développement. Plus encore que du besoin d’ours, nous avons besoin de « développer les qualités humaines » nécessaires pour les sauver, et car nous avons besoin de ces qualités pour aborder les défis qui se posent aujourd’hui à nous.
J’aime cette étincelle dans le regard de ceux qui défendent l’ours, cette ouverture d’esprit, cette humanité. Cette lueur contraste avec l’obscurantisme des opposants, leur repli sur soi, leur réflexe du « bouc émissaire ». Ils entrent dans le XXI° siècle avec les idées du XIX° !
Le XX° siècle restera comme celui de toutes les faillites environnementales. Mais nous ne sommes pas encore tout à fait entrés dans le nouveau siècle, celui que nous appelons de nos vœux, celui du respect de notre environnement comme de nous-mêmes. Nous sentons bien que les choses changent. Nous sentons poindre des temps nouveaux. Jamais les préoccupations environnementales n’ont été aussi fortes parmi nos concitoyens. Mais nous n’avons pas encore franchi le pas.
Serge Lepeltier, Ministre de l’Écologie et du Développement Durable, porte une réelle attention au dossier ours. Il a l’opportunité de reprendre le flambeau qu’avait allumé en 1993 Michel Barnier, alors Ministre de l’Environnement, en signant avec « Pays de l’Ours – Adet » la charte qui a permis de réintroduire les premiers ours.
Demain il annoncera son choix : celui, je l’espère, de respecter enfin les engagements de la France et d’assumer l’exemplarité que nous devons au monde ; celui de procéder dès 2005 à de nouveaux lâchers en Pyrénées Centrales comme en Béarn***.
Je ne peux pas imaginer qu’il choisisse d’abandonner un pan entier de notre patrimoine naturel, d’effacer avec lui cette fierté que nous avons, nous pyrénéens, de prendre en main notre avenir en conciliant tous les enjeux de notre territoire dans une vraie démarche de développement durable. Car concilier les enjeux, faire progresser conjointement l’économie, l’environnement et les dimensions socio-culturelles est le principe même du développement durable.
Certains dénigrent, condamnent, dénoncent le retour de l’ours au nom de conceptions dépassées opposant l'Homme à la Nature. Nous, nous sommes fiers de ce retour et nous voyons dans cette histoire l’amorce, à amplifier, d’un nouveau développement dans les Pyrénées : un développement basé sur la valorisation des atouts et des spécificités d’un territoire remarquable, tant par son environnement naturel que culturel.
L’ours occupe dans ce schéma une place à part : il est tout à la fois notre histoire et notre espoir.
François Arcangeli,
Maire d’Arbas,
Président de l’association pour le développement durable des Pyrénées Centrales « Pays de l’Ours – Adet »
Le 26 novembre 2004
* Selon un sondage réalisé en 2003 par l’IFOP pour les associations « Pays de l’Ours - Adet » et WWF.
** De nombreuses voix de personnalités ou de partis politiques se sont déjà élevées pour demander la mise en place d’un véritable plan de restauration d’une population viable d’ours dans les Pyrénées, comme le Parti Socialiste, Les Verts, Cap 21, Génération Écologie les Bleus ... en plus de la grande pétition nationale sur www.paysdelours.com .
*** Les meilleurs spécialistes s’accordent à dire que si l’on veut assurer la viabilité de l’espèce, il faudra lâcher en quelques années 3 à 5 ours en Pyrénées Centrales - La commune d’Arbas (31) a dores et déjà demandé par délibération unanime de son conseil municipal le lâcher de deux ours sur son territoire - et 5 à 7 ours en Pyrénées Occidentales.